Elie Godard ne cite pas la modernité, il s’en souvient, et, qui plus est, déjoue la prétention du Vieux Monde à imposer ses vues sur le Nouveau. Il fait comme si la modernité venait d’ailleurs et en réexamine les propositions, quitte à se montrer critique, comme dans L’Heure de l’étale (bois, acrylique, enduit, dimensions variables, 20 07), vague blanche dont l’écume solidifiée découvre des fragments d’architectures colorés, disjoints. Ce modernisme brisé ne conduit pas au cynisme. Des fragments, il est toujours possible de faire quelque chose (« Je suis peintre, je cloue mes tableaux », disait Kurt Schwitters). La Chaise de Lucrèce (qu’il est doux, quand sur la vaste mer les vents soulèvent les flots, d’apercevoir du rivage les périls d’autrui) (bois d’épave, diamètre : 80 cm, 2010) réalisée à partir de morceaux de bois de plusieurs épaves de bateaux échoués en Bretagne en témoigne. Ce siège, où, des accoudoirs au dossier, tout est rond, a quelque chose d’un astrolabe : il semble pouvoir pivoter sur plusieurs axes et se retourner sur lui-même selon un centre de gravité difficile à situer. Peut-être faut-il simplement s’asseoir et méditer l’ordre des planètes : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, (Pluton), ces planètes que l’on évoquait en premier lieu et qui donnent la clé de cette invitation énigmatique : Mercredi, viendras-tu manger, Jean, sur une nappe propre ?

Emmanuel Van der Meulen.