D’une certaine manière, cette démarche laissait supposer que pour mieux appréhender le réel, il était nécessaire de le maîtriser et qu’une restitution des plus justes, des plus objectives de ce dernier – pour reprendre un terme qui représente tant dans l’histoire de la photographie – obligeait à l’interpréter de façon définitive. Ainsi, le réel était devenu le support de sa propre représentation. Depuis, cette notion d’interprétation – le jeu de l’acteur, donc, mais aussi « ce qui donne sens, ce qui rend clair ce qui était obscur » – n’a cessé de s’affirmer en s’affranchissant toujours plus d’une référence par trop directe à ce réel en apparence familier. Les diverses images proposées, photographiques, vidéographiques ou plus largement plastiques comme ces collages entrepris récemment, sont les projections de la perception même qu’a l’artiste de ce qui se présente à elle, de ce qu’elle vit et de son rapport au monde. Elles tentent de saisir par des scénographies ou des compositions  précises l’essence des divers événements, anodins ou déterminants, auxquels elle se trouve confrontée. Les scènes qui en résultent, lieux d’une extrême concentration, apparaissent ainsi comme autant d’arrêts sur images, de raccourcis saisissants sélectionnés et orchestrés pour ce qu’ils ont à signifier. Ces images sont les « photogrammes d’un film dont je fais l’économie, mais dont elles se souviennent », comme le dit l’artiste avec beaucoup de lucidité, soulignant ainsi, par cette référence au cinéma, le rôle prépondérant du temps qui se trouve ici à son tour suspendu et compressé. Dans cette perspective, tout comme dans le cinéma, l’artiste utilise de façon récurrente un certain nombre de principes – le contre-champ, le hors-champ, l’ellipse – qui s’ils signifient un ailleurs et une autre durée, sont d’abord les effets singuliers d’une véritable focalisation. En ce même sens, celui donc d’aller à l’essentiel, les divers aspects techniques et formels – format (de la prise de vue, de l’image), contraste, densité, couleur, mais aussi cadrage et position des personnages (non plus, concernant les photographies, des personnes jouant leur propre rôle, mais des acteurs interchangeables dont le visage n’apparaît plus que rarement) –  révèlent des choix particulièrement radicaux. L’ensemble de ces paramètres et de ces principes agissants confère à ces œuvres un indubitable sentiment d’étrangeté : tout entiers engagés dans cette démarche consistant donc à clarifier, à donner un sens au réel, ils concourent par là même à affirmer un parti-pris radical, une direction résolument orientée, une version toute personnelle du réel ainsi convoqué. Ils sont avant tout au service de l’expression d’un affect dont les véritables tenants, tout en étant mis en jeu dans un esprit de parfaite empathie, nous sont nécessairement étrangers. Florence Paradeis propose ainsi les multiples images sublimées de l’expérience d’un monde qui nous est commun.

Xavier Franceschi