Au départ, c’était un travail photographique, puis de gravure. Je me suis finalement intéressé à l’architecture d’habitat ; l’espace d’atelier, l’espace de travail. Je suis parti d’une échelle qui est celle de la ville vers une échelle plus réduite, celle de l’atelier, de la chambre. Cela a commencé lors d’un workshop à Neuchatel en Suisse, il y avait là une bibliothèque dans le salon de la résidence où il y avait plein de livres qui débordaient les étagères. J’ai vidé une étagère pour les disposer sur d’autres. Ce geste de déplacement d’objets, je l’ai répété dans la chambre à différentes moments de la journée. (…) J’ai continué ce travail une fois de retour sur Nice. A cette époque, j’occupais une chambre de 12 ou 13m2 à la Villa Arson. J’y ai d’abord fait un travail de projection d’espaces, c’est-à-dire que j’ai bougé pas mal de choses et je me suis demandé comment je pouvais garder une trace de tout ça. J’ai de nouveau pris l’appareil photo et j’ai fait des prises de vues. Avec ces photos, j’ai aplati le volume. Par la suite, lors de mon séjour Erasmus à Francfort, j’ai voulu faire fait le chemin inverse, partir du plat et retourner au volume. J’ai fait plusieurs maquettes qui tenaient dans la main. (…) Puis à ma sortie de l’école, je n’ai pas pu travailler pendant deux ans. Mais je dessinais beaucoup, dans des carnets, comme une écriture automatique. Ce qui était frustrant dans cette pratique quotidienne c’est que je n’arrivais pas à imaginer le volume dans sa totalité. Quand j’ai pu m’y remettre, j’ai pensé à ces dessins et à l’espace. Mes premières maquettes c’était cinq dessins assemblés qui créaient un volume. (…) J’habitais près d’un marché où je trouvais des cartons, des cagettes, des choses comme ça. J’ai d’abord récupéré ces matériaux pour me constituer un vocabulaire, une palette plastique. J’avais besoin de travailler assez vite. De la colle, des ciseaux, un cutter, des matériaux que je trouvais rapidement. Et j’ai commencé à construire. Chaque geste déterminait le suivant. Comme une écriture automatique. J’avais une vague idée de ce que je voulais, à peu près la taille, et les choses se montaient sous mes yeux. (…) Je ne voulais pas que ce soit fonctionnel. Je ne suis pas architecte, je suis artiste. Les maquettes abandonnées n’avaient pas vocation à être reproduites à une échelle supérieure, c’est à dire que je me libérais de toutes les contraintes propres à l’architecture, à la construction. (…) Ce sont des projets, des esquisses, des intentions. Pour moi ce sont d’abord des sculptures. Ce qui est important, c’est qu’on puisse quand même s’y abriter. Visuellement. Ça c’est important pour moi, que la personne qui les regarde puisse se les approprier en les traversant du regard, en les traversant mentalement. D’où ma volonté de les accrocher à hauteur d’œil. Il y a comme un appel à la mémoire collective, à l’enfance, à la cabane. (…)En France, j’ai grandi dans le centre de Paris où les grossistes en maroquineries empilaient beaucoup de cartons à la fin de la journée.  Inconsciemment ça a joué. Ce carton, c’est un matériau qui m’est familier. Quand t’es gosse, t’en fait des cabanes, des jeux. Avec tout l’imaginaire qui va avec : ça voyage, ça construit, ça déplace. Maintenant je me dégage plus de cette idée de la cabane, j’y vois davantage des projections mentales. (…) »

Entretien : Karim Ghelloussi / Mengzhi Zheng

(A l’occasion de l’édition « Le monde ou rien » | Mai-juin 2016 | Circonstance Galerie)